S’il existe de nombreux termes pour désigner le haut potentiel intellectuel, il n’est pas pour autant aisé de définir pour soi et pour les autres de quoi il s’agit.
La notion de « haut potentiel », non limitée à l’aspect intellectuel, semble la plus appropriée, car être précoce c’est ouvrir le champ des possibles dans une multitude de domaines insuffisamment valorisés, reconnus, et exploités dans notre culture, société, et à l’école.
Ce haut potentiel, c’est la capacité à ressentir, percevoir, comprendre les choses et l’environnement qui nous entourent, de façon plus aiguisée, plus fine, plus approfondie que la majorité des gens. Et ressentir les choses plus intensément, c’est aussi y réagir plus intensément. Tout est stimulation, tout est information à traiter simultanément à différents niveaux, sans nécessairement avoir de hiérarchie ou de priorisation dans le traitement de l’information. On est donc rapidement surchargé, survolté, débordé. Il en découle une sensation de stimulation et de sollicitation permanente, et cette perméabilité à l’environnement peut engendrer de la nervosité, de l’irritabilité, de la fatigue, un besoin de s’isoler, de se protéger de ce flux incessant de stimulations. Des mécanismes de défense se mettront parfois en place pour contrecarrer ce trop plein (évitement phobique, isolement…).
En consultation, ces patients se présentent d’office comme « fragile », « trop sensible », « différent », « en décalage », ou s’estiment « malades » (subjectivement ou après diagnostic médical : troubles anxio-dépressifs, bipolarité, addictions…). La souffrance exprimée a une tonalité particulière, avec le plus souvent une grande capacité d’autoanalyse (ils ne voient donc souvent pas ce que consulter va leur apporter puisqu’ils ont déjà tout analysé et décortiqué, tout compris de leur fonctionnement et de leur inadéquation au monde qui les entoure). Quel que soit leurs accomplissements personnels ou professionnels, leur parcours aura le plus souvent été vécu comme laborieux voir chaotique, souvent marqué par la solitude, l’incompréhension, un sentiment d’illégitimité. Leur fonctionnement « hors normes » ne révèle pas nécessairement de la « pathologie» (sans exclure la possibilité d’une combinaison des deux), ou si un fonctionnement et non psychiatrique pouvait expliquer leur vécu.
Une personne à haut potentiel ne présente pas nécessairement toutes les facettes (intellect brillant, empathie et capacités émotionnelles très développées, grande créativité et capacités d’innovation, sens exacerbés…), certaines peuvent être plus développé que d’autres. Elle peut aussi avoir tout simplement manqué de confiance, d’étayage, et d’occasions pour exprimer certaines facettes. La révélation de leur haut potentiel peut alors servir de tremplin pour se lancer et se réaliser dans des domaines jusqu’alors inexplorés, artistiques ou autre.
L’aspect purement intellectuel du haut potentiel peut s’exprimer par un niveau d’accomplissement académique élevé, sanctionné par des notes et des diplômes, signes ostensibles de performance et de réussite dans notre société élitiste.
En consultation, les personnes ayant connu un tel parcours s’en félicitent rarement, voir, s’en défendent (« j’avais juste une bonne mémoire », « c’est parce que j’ai eu la chance d’aller dans de bonnes écoles »), ou ont l’impression d’usurper leur titre (« j’ai réussi médecine par hasard »). La majorité des consultants n’ont pas bénéficié des conditions nécessaires à l’exploitation de leur haut potentiel au service de la réussite scolaire. Au contraire, ils se sont heurtés à de l’incompréhension, la stigmatisation, voir l’humiliation, car ils ne s’accordaient pas au cadre scolaire, et l’école n’a pas cherché à s’adapter à leur fonctionnement particulier. « Il n’arrivera jamais à rien », « il n’ira pas jusqu’au bac », « qu’est-ce qu’on va en faire ? », ce sont surtout des incompris, blessés et parfois révoltés face à la somme d’injustices subies.
À l’âge adulte, lorsque je les rencontre, leur besoin de reconnaissance est intense, tel cet homme qui essayait d’imposer chaque décision professionnelle avec force, dans la confrontation, avec le sentiment de « jouer sa vie » à chaque fois tant il avait souffert d’incompréhension par le passé.
L’hypersensibilité, versant émotionnel du haut potentiel, est sans doute la dimension la plus difficile à accepter, intégrer et gérer, car l’abondance et le débordement d’émotions qu’elle génère est trop souvent assimilée à de l’immaturité, de la faiblesse et de la fragilité, effrayant pour soi et pour les autres qui ne savent comment la recevoir. Les personnes à haut potentiel ont souvent une capacité d’empathie surdéveloppée, cette qualité fait d’eux une oreille à qui se confier, souvent de bon conseil. Mais pour eux, elle est aussi cause de souffrance, car l’empathie s’accompagne souvent d’une forte sensibilité à l’injustice avec le sentiment d’impuissance qui va avec.
Bien canalisée, cela peut être exploité dans des professions d’aide, dans la création d’associations, du bénévolat… chez d’autres, elle restera à l’état brut, sous forme de rébellion, colère, rejet de la société. L’hypersensibilité confère par ailleurs un côté intuitif, qui dévient une vraie force lorsqu’on l’associe à une réflexion intellectuel. Cela permet de potentialiser les prises de décision.
La sensorialité accrue n’est pas toujours consciente, et on ne se rend donc pas compte de l’énergie monopolisée par des sens très aiguisés. Un odorat plus développé, une forte réactivité au toucher, une ouïe plus fine… les récepteurs sont saturés ! Comment faire le tri dans ce flux d’informations quand tout semble potentiellement important ?
Pourtant, ces sens affutés vont permettre de vivre des émotions plus fortes, de s’ancrer dans l’instant et d’en saisir toute la richesse. Bien cultivés, ils peuvent aussi être exploités professionnellement (nez dans la confection de parfum, arts culinaires, musique…).
La créativité et l’imagination découlent de la multitude de liens qui se crée entre l’intellect, l’émotionnel et le sensoriel, pour s’exprimer sous des formes artistiques diverses et foisonnantes. Sans la valorisation, l’intérêt, ou la reconnaissance de leur entourage dans ces domaines artistiques, les précoces pourront difficilement intégrer cette créativité comme une valeur et une richesse, mais la vivront plutôt comme quelque chose d’inutile, futile, voire de déviant.
À moins de se l’approprier comme un moyen d’expression précieux, un accomplissement de soi, indépendamment de la réaction de l’entourage (qui peu juste manquer de sensibilité artistique). La créativité peut aussi s’exprimer au travers du quotidien, en cuisine, en décoration, en jardinage, dans les activités partagées avec les enfants…
Le bouillonnement interne que connaissent les précoces s’exprime souvent sous forme d’agitation motrice, signe de débordement d’énergie, de trop plein d’émotion ou d’anxiété. Ce sont notamment ces enfants que nous voyons en consultation car les adultes se demandent s’ils ne sont pas « hyperactifs ». En soi, « hyperactif » ne signifie pas grand-chose. L’hyperactivité est surtout un problème lorsqu’elle est le signe d’un déficit attentionnel qu’il convient de déceler et de prendre en charge afin de permettre à l’enfant de trouver sa place, son équilibre et d’exploiter au mieux ses capacités. Les enfants sont trop facilement qualifiés par les adultes d’hyperactifs. Mais cette hyperactivité n’est pas uniquement signe de souffrance.
Les adultes ne savent pas toujours l’accueillir, mais elle peut juste être l’expression de la vivacité et l’énergie d’un enfant, qu’il apprendra à canaliser en grandissant, par son implication dans des activités sportives notamment. On retrouve souvent chez les précoces des aptitudes sportives hors du commun. Adultes, se sont des personnes qui ont besoin d’être dans l’action. Si cette « hyperactivité » n’est pas en soi un problème, on pourra y associer de la méthode afin que le foisonnement d’élans et d’idées ne se disperse pas, mais aboutisse à des projets menés à termes.
Les avancées en neurosciences et l’apport de l’imagerie cérébrale révèlent des différences physiologiques entre les cerveaux dits « neurotypiques » et ceux des personnes présentant un haut potentiel intellectuel, en cohérence avec leur vécu et ce que l’on constate sur le plan clinique.
Certaines zones cérébrales seraient plus développées notamment les lobes frontaux, zone vers laquelle convergent énormément d’informations et de processus cognitifs, sensoriels, émotionnels. Ils servent à filtrer les informations entrantes et sortantes, à analyser une situation, à engager un raisonnement, à inhiber ou activer des réponses/comportements, à prendre des décisions, à réguler les émotions, à s’adapter, à la conscience de soi et de son environnement, etc.
La connectivité entre les différentes zones cérébrales et l’activité cérébrale seraient plus importantes, ce qui impliquerait un traitement et une mise en lien des différentes informations plus riche, rapide, et efficace, serait plus propice à la créativité mais aussi aux débordements (cerveau en « ébullition » permanente) et à la recherche de stimulation (pour éviter de tourner « à vide », ce qui est source d’ennui, de dépression, d’agitation, et d’angoisse).
L’intérêt d’identifier son haut potentiel est multiple. Il s’agit d’abord, notamment pour les personnes qui ont eu un parcours de vie chaotique, de remettre les choses à leur juste place, de les resituer dans le cadre de la précocité. Prendre conscience de ce fonctionnement particulier permet de mieux comprendre son histoire, ses ressentis, les tensions, les injustices, les décalages, les réactions (de soi, des autres). Il sera alors plus aisé de trouver une juste distance dans son rapport aux autres, au monde, d’identifier et de profiter des atouts du haut potentiel, tout en en acceptant les limites, avec la mise en place de stratégies d’adaptation ou de protection si nécessaire.
En s’appropriant ce haut potentiel comme toile de fond à son parcours de vie, avec ses avantages et ses inconvénients, on se constitue une base fiable qui permettra de définir un meilleur équilibre et de faire des choix de vie en accord avec ses besoins.